vendredi 9 mars 2012

La Presse et le dépôt du budget

Depuis que j'ai créé ce blog, j'ai porté mon attention essentiellement sur la télévision publique (Radio-Canada et France 2). Il est temps de réparer cette injustice en m'attardant cette fois-ci sur le discours d'un quotidien privé: La Presse.

Rappelons que ce journal est la propriété du groupe Gesca (qui possède de nombreuses autres publications au Québec comme Le Soleil, Le Droit, La Tribune, etc.), lui-même appartenant à Paul Desmarais, un libéral (et donc fédéraliste) convaincu. Les journalistes des grands groupes de presse affirment que le propriétaire n'a quasiment pas d'influence sur le discours de son journal (j'y reviendrai en détail dans une prochaine chronique). Voyons ce qu'il en est à l'occasion du dépôt du budget par le gouvernement conservateur de Stephen Harper.

Première chose: La Presse ne se défile pas et consacre une très importante couverture au sujet. Enfin, au moins en terme d'espace: la moitié de la première page y a trait, tout comme les pages 2 et 3. Et des chroniqueurs "célèbres" tels Alain Dubuc et Claude Picher, ainsi que l'éditorialiste en chef André Pratte, ont écrit un papier sur ce dossier. Cependant, le lecteur aura noté l' "espace vide" absolument incroyable dans chaque page. On a le droit à des "phrase choc" un peu partout et à des illustrations graphiques. Mais pour le véritable contenu on repassera: les pages 2 et 3 sont finalement quasiment vides, seuls un petit article tout en bas de la page 2 et la chronique de Claude Picher, en bas de la page 3, viennent occuper cet immense espace.

L'article de la page 2 est dans le plus pur ton journalistique: les faits, rien que les faits, rapportés de manière "objective". Les choses deviennent plus intéressantes avec Claude Picher, qui attaque frontalement le ministre des finances, M. Flaherty car il estime que ses prévisions de retour à l'équilibre budgétaire ne résisteront pas à la réalité... Avant qu'il ne trouve toutes les raisons du monde qui font que justement les prévisions du ministre sont loin d'être déraisonnables et qu'il a sans doute raison! Résultat: un article d'apparence négative qui se termine sur une bonne note pour le gouvernement. André Pratte, éditorialiste célèbre, et qui donc donne l'opinion du journal, continue dans la même veine et démarre sur les chapeaux de roue en déclarant que : "le document [le budget] a de quoi plaire à ceux qui préfèrent la bonne gestion aux feux d'artifice".

La Presse semble donc tenir un discours favorable au budget conservateur. Encore que... Dans sa chronique, Alain Dubuc estime qu'il s'agit là d'un "exercice budgétaire très peu crédible"! Néanmoins, il faut trouver la chronique d'Alain Dubuc qui n'est pas aussi facilement accessible que les papiers de Claude Picher et André Pratte...

On ne sait donc plus vraiment ce que pense La Presse, qui manifestement ne peut s'empêcher de critiquer le budget, sans doute car elle sait qu'il s'agit là de l'opinion de ses lecteurs, tout en en faisant l'éloge: il serait regrettable de se mettre Ottawa à dos en ces temps difficiles pour les médias. Même si les choses ne vont peut-être pas si mal comme le rapporte l'Observatoire du journalisme qui constate par exemple que "le bénéfice de TVA s'est apprécié de plus de 20 pour cent [tandis que] les profits dégagés ont atteint 80 millions $, en pleine crise des médias et en pleine période de repli économique".

Bref, on se rend compte qu'il est extrêmement difficile de se faire une idée de l'orientation globale du journal. Seule finalement une analyse de presse poussée réalisée au moyen de la méthode Morin-Chartier (cf. le site de Prisme Média pour plus d'explications), permettrait d'évaluer précisément le contenu du quotidien montréalais et de répondre sans l'ombre d'un doute à cette questions centrale: La Presse a-t-elle tenu des propos globalement favorables, défavorables ou neutres en ce qui a trait au dépôt du budget conservateur?

En l'absence d'un tel procédé, La Presse réussit donc à ménager la chèvre et le choux. Au risque de perdre le lecteur. Mais chut: si les médias sont en crise, c'est à cause des médias sociaux. Le contenu n'a bien sur rien à voir là-dedans.